Un article pour les 80 ans de l’école Caritas, par Bruno Van de Casteele, membre du Pouvoir Organisateur, printemps 2017.
Le 15 septembre 1937, il y a donc 80 ans, l’école Caritas organisait ses premières classes, dans les bâtiments des actuelles maternelles de Caritas. Les origines de l’école vont bien au-delà de cette date… Pour mieux comprendre les origines de l’école, je dois mettre en évidence deux personnes, sans qui il n’y aurait pas eu d’école Caritas ni même une école libre à Hamme-Mille. Il s’agit de Sœur Caritas des Annonciades d’Heverlee (1878-1942) et du curé de la paroisse Van Gucht (1882-1967).
Sœur Caritas a donné son nom à l’école, mais elle n’y a jamais enseigné. En fait, elle était déjà à la retraite quand l’école a été fondée, bien qu’elle ait encore habité dans la petite communauté des sœurs de l’école pendant quelques années jusqu’à sa mort en 1942. Sœur Caritas, de son vrai nom Aline Van De Gaer, a été institutrice à l’école … communale de 1912 à 1936.
Avant son arrivée, des sœurs franciscaines (de Wavre) travaillaient dans cette école. Au moment de leur départ, le curé Van Gucht (l’oncle du curé dont on parlera ci-dessous) demanda aux sœurs d’Heverlee l’aide d’une sœur pour continuer un enseignement catholique. Sœur Caritas fut donc nommée à l’école communale en 1912 et y a travaillé jusqu’à sa retraite pour raisons de santé, en 1936. Elle était bien plus qu’une « aide » … elle tenait au début la seule classe avec pas moins de 80 élèves ! Heureusement de l’aide viendra car, selon la description que j’ai pu lire dans un article pour les 60 ans de l’école, les enfants étaient « peu disciplinés ». Certainement elle méritait son surnom donné par ses collègues par après, la « bonne sœur Caritas » !
Passons maintenant à la personne encore plus fondamentale pour l’école Caritas, le curé Van Gucht (1882-1967). Il était chanoine prémontré de l’Abbaye du Parc (aussi à Heverlee) mais a surtout marqué la vie catholique à Hamme-Mille car il y a été curé de 1927 à 1962.
Les informations et archives à son sujet sont un peu maigres, surtout si on compare avec les sœurs qui maintiennent des bonnes archives. Toutefois dans les quelques sources contemporaines on peut y retracer le caractère d’un homme qui savait entreprendre et qui avait une vision à long terme. Sans lui, il n’y aurait pas eu l’école Caritas telle qu’on la connaît actuellement. En 1938, dans une allocution lors des festivités pour le jubilé d’argent d’apostolat de Sœur Caritas, le ministre Janssen (châtelain au château de Valduc) parle du curé Van Gucht comme d’un « trésor de dévouement », un curé « dévoué et zélé ». Sa fille, Elisabeth Janssen, parlait à la même fête du « talent d’organisateur » et de son « généreux apostolat ». Ces deux points deviendront très clairs dans ce qui suit …
Quand Sœur Caritas allait prendre sa retraite comme institutrice communale en 1936 pour des raisons de santé, le curé Van Gucht souhaita que l’enseignement catholique puisse continuer dans sa paroisse. Il n’était apparemment plus possible d’avoir une institutrice religieuse à l’école (les esprits ayant évolué entretemps …). Il se déplaça donc, avec le ministre Janssen, à l’archevêché, où il obtiendra un accord et même un encouragement d’ouvrir une école libre, « même s’il n’y a que deux élèves ».
Avec cet encouragement, il n’y avait « qu’à » commencer l’école. Des Annonciades, le curé s’assura le soutien de deux sœurs qui devaient donc venir habiter Hamme-Mille. En dehors des institutrices, il avait aussi besoin d’une maison pour les loger et bien sur de locaux pour organiser des classes. Son choix tomba sur la propriété sise Chaussée de Namur 4, là où l’école se trouve toujours.
Ce bâtiment, qui date de la fin du 18e siècle, a été fortement rénové dans les années 1870 par le châtelain de Valduc de l’époque, le Baron Craninckx (pas de relation avec le ministre Janssen qui achètera le domaine en 1919), lors de la première « guerre scolaire » en Belgique. Cette petite école n’y restera pas longtemps, et le bâtiment ne sera plus entretenu. Le terrain et la ruine furent donnés à la fabrique d’église après la première guerre mondiale, et le curé Van Gucht (l’oncle déjà mentionné ci-dessus) la fit restaurer à ses frais – il avait la même générosité que son neveu ! Le bâtiment était donc prêt à accueillir les sœurs et les élèves.
Il ne restait donc que de donner un nom à cette école. Je ne retrouve aucune trace explicite de la raison pour laquelle elle fut appelée « Caritas », mais je présume que c’était un coup de génie de la part de l’abbé. Ainsi le nom rappellerait la sœur qui s’était dévouée depuis plus d’un quart de siècle à Hamme-Mille et y avait une bonne réputation. Elle y habitera d’ailleurs aussi comme supérieure de la petite congrégation jusqu’à sa mort en 1942. Là aussi, je présume que le curé a tout fait pour qu’elle reste à Hamme-Mille (même en mauvaise santé) car sa présence donnait un argument fort pour attirer des élèves.
Fonder une école ne se fait bien sûr pas tout seul. Le curé avait trouvé un nom, des institutrices, un bâtiment, mais le curé fit porter aussi ce projet par les notables de Hamme-Mille et environs. Elisabeth Janssen (1917-2015) devenait la première présidente du Comité Scolaire, prédécesseur de l’actuel Pouvoir Organisateur. Elle était la fille du ministre d’Etat Janssen et elle aussi châtelaine au château de Valduc pendant de très longues années. Avec elle, le curé s’assurait non seulement du soutien de cette famille bien connue, mais pouvait en plus compter sur le dynamisme de Mme Janssen dans la création de l’école.
Toutes ces préparations devaient se faire dans le grand secret ! La commune de Hamme-Mille n’allait certainement pas aimer cette concurrence, en plus d’une de ses anciennes institutrices ! Il faut aussi s’imaginer que Sœur Caritas habitait encore à l’école communale (elle avait ce droit jusqu’à ce que sa retraite soit officialisée), et y resterait encore un peu de temps lors des premiers mois de l’école qui portait son nom car les logements n’étaient pas encore prêts… Vraisemblablement le curé avait un peu exagéré auprès de l’archevêque concernant la disponibilité des bâtiments …
On ne peut rien reprocher au curé. Il a réussi en un court laps de temps à organiser une école libre, trouver des institutrices, des locaux mais aussi du matériel scolaire et du financement. L’école ne recevra des subsides qu’en mai 1938.
Quelques jours avant l’ouverture officielle le 15 septembre 1937, le curé devait déclarer à la commune qu’il commençait une école. Comme il le décrivit dans une lettre plus tard à la Mère Supérieure d’Heverlee, ce fut comme une « bombe » à la maison communale. Le premier jour de l’école fut aussi un peu décevant. Le bourgmestre avait, lui, rouvert les classes de l’école communale le 14. Donc, n’arrivèrent le premier jour à Caritas que 12 élèves en primaires et 2 en maternelles. Un peu plus que les « deux » voulus comme minimum par le cardinal, mais quand même… Il semble que les gens aient préféré rester (pour diverses raisons probablement) à l’école communale.
Dans la lettre citée ci-dessus, le curé Van Gucht décrit ces premiers jours. Cette lettre est remarquable pour plusieurs raisons. Ecrite une semaine après l’ouverture, le curé semble vouloir défendre son projet vis-à-vis des sœurs. Il décrit donc la non-coopération (compréhensible) des autorités communales, mais aussi les actions qu’il a entreprises : les institutrices ont fait le tour des familles de Hamme-Mille annonçant que sœur Caritas (qui était bien connue et aimée) continuait son enseignement (pas faux, mais pas à 100% correct non plus). Faire le tour des maisons, il n’est pas facile de s’imaginer ceci de nous jours… Le curé faisait aussi travailler son réseau car il gardait espoir, ce qui le caractérise bien. Avec beaucoup de fierté il annonce à la Mère Supérieure que Mme Janssen (la mère de la présidente du comité) était venue faire une inspection des locaux et des moyens didactiques, et en avait été ravie ! Mme la baronne Descamps (de Guertechin) avait aussi promis sa visite à l’école … les mœurs ont changé – actuellement c’est plutôt l’inspection de l’AFSCA ou des pompiers qui prouverait la qualité d’une école. Dans le temps, c’était important que des personnalités eussent approuvé le travail et l’infrastructure éducative !
La situation ne semble pas être rétablie début novembre. Dans un rapport de réunion du comité scolaire, on ne mentionne pas le souci du nombre d’élèves, mais les actions prises montrent qu’on devait continuer à chercher des élèves. Le comité se chargeait d’écrire un manifeste à envoyer à la population d’Hamme-Mille pour éclaircir la situation (apparemment toujours confuse pour les citoyens d’Hamme-Mille). De plus on prépara une grande fête pour le jubilé d’argent de Sœur Caritas début 1938. Bien sûr, ceci serait une fête de reconnaissance pour son travail avec une remise d’une décoration du roi, mais c’était également l’occasion d’apporter un coup de publicité pour l’école. Le déroulement de cette fête a déjà été décrit ailleurs (notamment lors des 60 ans de l’école). Je note simplement que c’était un franc succès.
Cette fête donc, en plus du bouche à oreille, commence à avoir son effet ; le nombre d’élèves augmente pas à pas. Les chiffres exacts ne sont plus connus mais en 1950 il y a plus de 70 élèves en primaire (4e degré compris), et probablement une trentaine d’élèves en maternelles (en une seule classe !). Ce beau résultat est le fruit du travail dévoué des sœurs, des institutrices laïques qui arrivent à partir des années 50, du comité scolaire présidé par Mlle Janssen (qui restera présidente du comité même après son mariage avec le comte Plater-Zyberk en 1961), et bien sûr de l’engagement personnel et financier du curé Van Gucht. On retrouve à plusieurs moments qu’il finance ou cofinance des travaux à l’école, comme la cour en 1942 ou l’extension des maternelles en 1952.
Le curé reste très engagé pour « son » école. Dans les archives des sœurs, on trouve un brouillon non daté d’une lettre au Cardinal, probablement en ’60 ou ’61. Pour rappel, le curé à ce moment avait presque 80 ans mais était toujours en fonction à la paroisse. Dans la lettre, il prévient ses supérieurs de l’arrivée d’une école de l’état, et demande de pouvoir renforcer l’école Caritas avec le pensionnat (francophone) des sœurs à Heverlee. Il vante bien sûr (et correctement) la qualité de l’enseignement mais aussi la bonne situation de l’école … car il fait aussi référence à la « question linguistique »et qu’il serait mieux « d’établir le pensionnat francophone en pays wallon ».
Peut-être un effort indépendant (mais pas certain – le curé pouvait compter sur un grand réseau de personnes d’influence), mais, plus ou moins au même moment, un inspecteur de l’université serait venu discuter avec la Mère Supérieure à Heverlee de la création d’une école secondaire (francophone) à Hamme-Mille, payée par l’université. On ne retrouve qu’un petit « pense-bête », et ceci ne sera pas réalisé pour des raisons inconnues… mais on peut toujours rêver sur ce que cela aurait pu être ! L’Abbé Van Gucht en aurait été fier. Par contre, à la rentrée de septembre 1963, les faits prouvent la bonne prémonition du curé. Les classes francophones à Heverlee furent supprimées et, du coup, le nombre d’élèves à Caritas doubla. Pour donner les cours dans de meilleures conditions, le bâtiment « principal » sera construit en 1967 (donc, il y a 50 ans cette année). Heureusement, car le nombre d’élèves ne fit qu’augmenter jusqu’à atteindre un pic de plus de 350 élèves dans les années ‘90.
En conclusion, ces deux personnes furent marquantes pour le début de notre école Caritas. Elles se retrouvent aussi au cimetière communal de Hamme-Mille l’une à côté de l’autre, comme pour démontrer une fois de plus leur travail en commun. L’école Caritas les remercie une fois de plus pour leur dévouement dans la création et l’évolution de notre école.
Sources et photos Cultureel erfgoed annuntiaten Heverlee, auteur, archives Lecluse, Verhoyen et l’école Caritas